II. L’ABSORPTION SELECTIVE DES CATIONS D’ELEMENTS DE TRANSITION

1. L'absorption de lumière par les transitions d-d

La cause principale de la coloration des minéraux à éclat non métallique : vitreux, adamantin, etc., réside dans la présence d’ions positifs (ou cations) d’éléments de transition dans le minéral. Les éléments de transition sont représentés dans le tableau périodique des éléments, en gris (annexe 2). Ils sont définis comme étant des éléments qui possèdent des couches électroniques d et/ou f (pour les actinides et les lanthanides (appelés aussi terres rares)).

Les principaux ions responsables de la coloration des minéraux sont ceux de la 4ème ligne dont la structure électronique est 1s2 2s2 2p6 3s2 3p6 4s2 3dx, x=1 à 9, c’est à dire les ions du scandium Sc, du titane Ti, du chrome Cr, du manganèse Mn, du fer Fe, du cobalt Co et du cuivre Cu (le zinc Zn est à part), et dans une moindre mesure l’yttrium Y, le cérium Ce ou l’uranium U…

Dans cet exposé nous allons nous intéresser plus particulièrement aux éléments de la 4ème ligne qui ont un niveau électronique 3d incomplet. Les ions de ces éléments de transition ont des sites électroniques libres, accepteurs d’électrons.

Dans un minéral, sont présents également les anions ou ions négatifs (essentiellement O2-, mais aussi Cl-, F- etc.). Ces anions créent autour des cations de ces éléments de transition avec qui ils sont en coordinence un champ électrostatique par leur nuage électronique, appelé de manière impropre " champ cristallin ". Compte tenu qu’il s’agit d’interactions entre un cation et ses ligands, on préfère parler de la théorie des ligands. Les ligands, souvent l’ion oxygène O2-, peut donner deux électrons pour former une liaison iono-covalente avec le cation métallique.

Selon la nature de l’ion, en particulier le nombre d’électrons 3d dont il dispose et de sa coordinence ou nombre de ligands associés, les interactions entre le cation métallique et ses ligands ne sont pas les mêmes.

Dans l’atome isolé, les niveaux d’énergie des cinq orbitales 3d sont dégénérés (elles ont toutes la même énergie). Si l’on soumet cet atome à un champ électrique sphérique, les orbitales sont déstabilisées d’une quantité D E, uniformément répartie autour de l’atome. Mais, cet environnement n’est qu’hypothétique, dans la réalité, le cation métallique est soumis à l’action électrostatique des ligands qui ont une disposition géométrique discrète autour de lui.

Fig. 3 : Levée de dégénérescence des orbitales 3d sous l’effet des ligands

Absorption des couleurs de haute énergie par Fe3+

 

- Si le cation métallique est placé au centre d’un environnement octaédrique, il y a six ligands autour du cation qui vont créer un champ électrostatique dont l’influence sur les cinq orbitales d du cation dépendra de leur orientation. Les cinq orbitales d (selon les axes ou selon les diagonales) ne sont donc plus équivalentes : il y a levée de dégénérescence. Les orbitales dxy, dyz et dxz sont stabilisées car elles pointent entre les ligands. Un électron occupant une de ces orbitales subit une répulsion moindre par les ligands donc l’énergie de ces orbitales est abaissée. Elles sont appelées t2g.

Les orbitales dx2-y2 et d sont déstabilisées, elles sont dirigées directement vers les ligands. Un électron occupant une de ces orbitales subit une répulsion plus forte des ligands donc l’énergie de ces orbitales est augmentée. Elles sont appelées eg.

Fig. 4 : Levée de dégénérescence des orbitales 3d sous l’effet des ligands en géométrie octaèdrique

- Si le cation métallique est placé au centre d’un environnement tétraédrique, les niveaux d’énergie des orbitales d éclatent à nouveau en 2 niveaux d’énergie e et t2. Cette coordination est liée de près à la géométrie cubique. Dans cette disposition tétraédrique, les ligands ne s’approchent directement d’aucune orbital s d du métal, mais ils viennent plus près des orbitales dirigées vers le milieu des arêtes du cube ( dxy, dyz , dxz) que celles dirigées vers le centre des faces (dx2-y2 et d ). Les orbitales déstabilisées sont donc dxy, dyz et dxz appelées orbitales t2, et les orbitales stabilisées sont dx2-y2 et d appelées orbitales e.

Le dédoublement D t dû au champ cristallin tétraédrique est intrinsèquement plus faible que celui du champ octaédrique, parce qu’il n’y a que 2/3 des ligands et que leur effet sur les orbitales d est moins direct (Dt = 4/9Do environ).

Fig. 5 : Levée de dégénérescence des orbitales 3d sous l’effet des ligands en géométrie tétraédrique

 

- Si le cation métallique est placé au centre d’une configuration plan carré, qui est rencontrée essentiellement pour les éléments d8,Ni2+, Pd2+ et Pt2+ par la déformation de l’octaèdre (Effet Jahn-Teller) rencontré pour les ions d9 Cu2+ et d4 Cr2+ et Mn3+ , il y a une nouvelle dégénérescence des orbitales d, conduisant à 4 niveaux d’énergie.

Fig. 6 : Levée de dégénérescence des orbitales 3d sous l’effet des ligands en géométrie plan carré

 

On explique la couleur par une transition électronique de type d-d au cours de laquelle un électron passe du niveau d’énergie inférieure au niveau d’énergie supérieure (du niveau t2g au niveau eg pour une géométrie octaédrique).

Soit hn l’énergie du photon ou de la lumière incidente, h est la constante de Planck, si la valeur de hn correspond au gap d’énergie entre les niveaux t2g et eg, l’électron va absorber l’énergie hn et passer au niveau d’énergie supérieure soustrayant la lumière de fréquence n au faisceau incident. La lumière réfléchie qui devrait être blanche est alors réduite de la couleur correspondante à la fréquence n et le minéral nous apparaît coloré.

L’électron est alors sur un niveau d’excitation supérieur à son niveau au repos. Il peut ensuite revenir à son état fondamental (non excité) en émettant l’énergie absorbée soit sous la forme de chaleur, soit sous la forme de lumière, on parle alors de fluorescence.

Il faut donc retenir qu’un cation métallique des éléments de transition peut absorber de l’énergie sous la forme d’onde lumineuse, en fonction de sa valence et du nombre de ses ligands.

 

2. Influence de l’environnement

Cet environnement, souvent dû à ses plus proches voisins ou ligands peut également être dû à un ordre à plus grande échelle. Un cation qui vient en substitution du cation normalement présent sur son site dans le minéral étudié, n’a pas généralement la même taille que le cation du minéral (sauf par exemple Fe2+ et Mg2+ qui sont très semblables et souvent en substitution dans les amphiboles et les pyroxènes). Dans ce cas, l’environnement de ce cation, véritable défaut ponctuel n’est plus un site octaédrique ou tétraédrique parfait ; il peut également modifier le site des cations voisins en les déformant. Il y a lors de nouvelles levées de dégénérescence des orbitales des cations qui peuvent conduire à une absorption d’énergie dans le visible et donc à une coloration.

Exemple du fer :

  • olivine ((Mg, Fe)2 SiO4)

L’olivine contient des ions Fe2+ présents dans deux sortes de sites octaédriques déformés M1 et M2. La majorité de l’absorption intervient dans l’infa-rouge, le rouge et le bleu, la couleur de l’olivine est alors jaune vert.

  • Le chrysobéryl (Al2BeO4)

Sa structure est la même que celle de l’olivine, avec quelques ions ferriques Fe3+ en substitution de l’aluminium en coordinence octaédrique. Le spectre d’absorption est alors très différent de celui de l’olivine. L’absorption intervient alors dans le domaine des fréquences du bleu-vert et le chrysobéryl est jaune pâle.

  • Le grenat almandin ( Fe3Al2Si3O12)

  • L’ion ferreux Fe2+ est dans un site de coordinence octuple, et décale le spectre d’absorption vers le jaune, le bleu, et le vert, et un peu dans l’orange. Le grenat almandin apparaît donc avec une couleur rouge profond.

 

Cation métallique

Couleur

Minéraux

Ti3+ octaédrique

Rose rouge

Phlogopite, Augite, Grenat, certaines tourmalines

Quartz rose (Ti4+est réduit en Ti3+ sous l’effet de radiation)

V3+ octaédrique

Vert

Grenat grossulaire (tsavorite)

Certaines cyanites

Emeraudes vanadifères

Corindon (effet alexandrite)

V4+ octaédrique

Vert à bleu

Anatase bleu

Apophyllite verte

(Zoisite (tanzanite) avec V3+)

Cr3+ octaédrique

Vert

Effet alexandrite :

avec fluorescence rouge

Béryl émeraude, grenat ouvarovite, mica fushite, diopside verte

chrysobéryl (alexandrite)

rubis, spinelle, topaze violet

Alexandrite

Cr3+ tétraédrique

Rouge

Spinelle

Cr4+ octaédrique

Bleu

Diopside bleue

Mn3+ octaédrique

Rouge profond

Béryl rouge

Couleur verte

Couleur violette

Purpurite, manganophyllite, certaines rubellite.

Béryl

Andalousite

Trémolite

Mn2+ octaédrique

Rose rouge avec fluorescence orange

Rose orangé

Jaune

vert

Rhodonite, rhodocrosite, morganite, kunzite,

Grenat spessartite

Natrophyllite

Manganosite

Mn2+

tétraédrique

jaune vert

Willémite

Fe3+ octaédrique

Jaune

Rouge violet

Couleur pâle lorsque les ions Fe3+ sont isolés les uns des autres par des ions silicates

Couleur rose pâle

Couleur rose pâle

Couleur jaune vert dans les silicates ferriques

Beryl héliodore

Strengite

 

 

 

Phosphates,ex : strengite

Sulfates, ex: coquimbite

Grenat Andradite

Fe3+ tétraédrique

jaune pâle

Feldspaths plagioclases

Chrysobéryl ferrifère

Fe2+ octaédrique

Vert

Avec Fe++ en excès, la couleur peut virer au brun

 

Ferromagnésien (péridot, épidote, vésuvianite) tourmaline verte

Béryl

Forsterite

Phosphophyllite

Fayalite, orthopyroxène

Fe2+ cubique

Rouge

Grenat almandin, pyrope

Fe2+ pyramidal

(plan carré)

rouge

Llepsite, Eudyalite

Co2+ octaédrique

Rose

Erythrine, sphaerocalcite, cobaltocalcite, cobaltoadamine, rosellite

Co2+ tétraédrique

Bleu

Spinelles bleues, lussakite (staurolite cobaltifère)

Ni2+ octaédrique

Verte

jaune dans des sites déformés par des gros Ni++ en substitution

Garniérite, annabergite, chrysoprase

Cu2+ octaédrique

Vert

bleu

Malachite, dioptase, olivenite, libethenite, atacamite

Azurite, chrysocolle, turquoise, Aurichalcite

Sc3+

Pas de coloration

 

U4+

bleu

Zircon

 

 

 

 

Cation métallique

Minéraux

Cation métallique

Minéraux

         

Ti3+ octaédrique

Phlogopite (Afghanistan)

 

Mn3+ octaédrique

rubellite.

V3+ octaédrique

Grenat grossulaire (tsavorite)

Mn2+ octaédrique

Rhodonite

V4+ octaédrique

Apophyllite verte (inde)

 

 

Mn2+

tétraédrique

Willémite

Cr3+ octaédrique

Liaison ionique

Rubis

 

Cr3+ octaédrique

Liaison covalente

Béryl émeraude

Fe2+ octaédrique

tourmaline verte

Cu2+ octaédrique

atacamite

 

 

Fe2+ cubique

Grenat almandin

   

Azurite

Co2+ octaédrique

Erythrine

 

3. Influence de la liaison

La nature de la liaison a également une incidence sur la coloration des minéraux. Prenons le cas typique de l’émeraude et du rubis. L’émeraude est un béryl (Be3Al2Si6O18) et le rubis un corindon (Al2O3) dans lesquels un ion Cr3+ vient en substitution d’un Al3+ en coordinence octaédrique distordue.

- Dans le rubis, la liaison est essentiellement ionique. L’oxygène ne partage pas son doublet électronique avec le chrome Cr3+. Il y a donc une forte interaction électrostatique entre les orbitales atomiques de l’oxygène et du chrome qui se manifeste par une répulsion des orbitales dirigées selon les axes dx2-y2 et d . Il y a alors une forte dégénérescence des orbitales 3d, qui s’accompagne d’un D E élevé et d’une absorption dans le vert. Le rubis devrait donc apparaître rose (mélange de bleu et de rouge).

Si le rubis possède un tel éclat avec une couleur rouge très prononcée, c’est qu’au phénomène d’absorption du vert, se greffe le phénomène de fluorescence : le rubis a la particularité de réémettre la lumière absorbée sous la forme de lumière rouge.

 

- Dans l’émeraude, la liaison est covalente. L’oxygène partage son doublet électronique avec le chrome. Il y a ainsi recouvrement des orbitales mais surtout, les électrons de la liaison sont plus délocalisés et le champ électrostatique plus faible. La dégénérescence entre les niveaux 3d est donc plus faible et l’absorption intervient dans le rouge. L’émeraude est donc verte.

 

- Il est intéressant de s’attarder sur le chrysobéryl, variété alexandrite. Sa liaison chrome-oxygène est intermédiaire entre celles du rubis et de l’émeraude, et son spectre d’absorption est également intermédiaire, dans le jaune.

 

4. Quelques définitions

Selon que l’ion de l’élément de transition soit présent en grande quantité, ou seulement en tant qu’impuretés, on distingue deux types de coloration :

  1. La coloration idiochromatique
  2. La coloration idiochromatique est intrinsèque au minéral, c’est à dire qu’elle est due à la présence d’ions " colorants " en grande quantité dans le minéral, ions qui sont l’essence même du minéral et non pas des impuretés. On peut citer par exemple, les ions Cu2+ de la malachite ou de l'azurite. Ces ions apparaissent dans la formule de la composition du minéral malachite : Cu2CO3 (OH)2, azurite Cu3(CO3)2 (OH)2.

  3. La coloration allochromatique

Par opposition à la coloration idiochromatique, la coloration allochromatique est due à des ions présents en faible quantité dans le minéral. Ce sont des impuretés et ils n’apparaissent pas dans la formule du minéral.

 

Enfin, n’omettons pas la possibilité qu’il y aie pour un minéral donné, plusieurs ions d’éléments de transition, ou plusieurs déviations des orbitales dispersées dans le minéral, il y a alors plusieurs niveaux d’excitation avec des gaps d’énergies différents et des longueurs d’ondes associées multiples. Dans ce cas, le minéral va absorber toutes les ondes incidentes correspondantes, jusqu’à aller, dans le cas limite d’un grand nombre d’ondes absorbées, à être un minéral sombre et opaque.